Thaïlande, la forêt des grands flamboyants

En Asie du sud-est, le cinéma de Thaïlande est résolument à part. Si c’est le seul pays à n’avoir pas été colonisé au 20ème siècle, son cinéma est un à la fois un creuset d’influences extérieures et la rencontre avec une forme de spectacle traditionnel très populaire et codifiée depuis des lustres

DATE :
28 novembre 2019
HORAIRES :
19H30 > 21H30
TARIFS :
3 euros / Gratuit pour les adhérents

INTERVENANT :

En Asie du sud-est, le cinéma thaïlandais est résolument à part. Si c’est le seul pays à n’avoir pas été colonisé au 20ème siècle, son cinéma est un à la fois un creuset d’influences extérieures et la rencontre avec une forme de spectacle traditionnel très populaire (nang yai ou théâtre d’ombres). Le cinéma en conservera pourtant certains principes: des récits simples, immédiatement compréhensibles grâce à des personnages archétypaux et des codes très précis pour un public qui, assistant rarement à l’intégralité des films, devait pouvoir comprendre immédiatement l’histoire.

Le premier film entièrement thaï, Doublement chanceux ( Chok Sorng Chan ) est réalisé en 1927 par Manit Wasuwat. 17 films seront produits jusqu’en 1932, année de Long Thang, premier film parlant qui va mettre à mal les premiers balbutiements du muet. Progressivement toutefois, car la tradition des doubleurs continue. Ces artistes à part entière continue à effectuer toutes les voix et bruitages en direct, non seulement des films muets jusqu’aux années 50 mais aussi de tous les films étrangers et ce, jusqu’à une période récente, déplaçant les foules sur leur seule renommée. 1932, c’est aussi la date du premier coup d’état militaire du siècle. Contrairement à d’autres pays, le cinéma est ici très bien vu et devient aussitôt un outil de propagande. Si la censure thaïlandaise sera désormais féroce, elle n’empêche toutefois pas un premier âge d’or durant les années 30. Les grands genres qui composent ce cinéma populaire découlent des influences étrangères : États-Unis, Japon, Bollywood Hong Kong… Rare film encore visible de la période, Le roi et l’éléphant blanc (Pridi Phanomyong, 1941). Un cri d’alerte en direction des pays occidentaux car en 1942, le régime se range du côté du Japon, mettant sa propagande au service de l’Axe. Et quand l’armée reprendra le pouvoir en 1947, le cinéma thaïlandais sera dès lors aux avant-postes de la lutte anti-communiste.

Santi-weena

Durant les années 50 existent de nombreux studios pour une production de films tournés en 16mm. À retenir Santi-weena (1954) de Rattana Pestonji, première grande figure du cinéma national et qui essaiera d’améliorer le niveau technique du cinéma local jusqu’à sa mort en 1970. Durant les 60’s, la production va tripler avec notamment des films musicaux avec le couple star Mitr-Petchara ( 192 films dont la comédie musicale culte Mon Rak Lookthung (1970). Mitr Chaibancha joue dans la moitié des productions et champion de boxe thaï, surtout dans des films d’action sous le masque de l’Aigle rouge, avec parfois de vraies curiosités comme Phra Apai Mani, sorte de comédie mythologique. La décennie suivante, Sombat Metanee, un grand chanteur, reprend le flambeau pour plusieurs centaines de films, notamment dans Mr. Tui (Dokdin Kanyamarn,1971), une comédie musicale luk thung (forme de country très populaire en Thaïlande et qui exprime la dureté de la vie paysanne) sur la beauté de la région de I’Isan, toujours avec Petchara Chaowarat.

Si les soubresauts politiques des 70’s freinent cette expansion après la proclamation de la loi martiale, une taxe sur le film importés va booster la production locale à partir de 1977 (150 films en 1978, dont beaucoup de séries B asses faibles, les Nam nao ou « eau croupie ». Quelques auteurs dits du « Renouveau », tournent pourtant des films sociaux autour de la vie quotidienne. En premier lieu, le prince Chatrichalerm Yukol. Cet ancien étudiant à la UCLA n’aura de cesse de soulever l’ensemble des problèmes de la Thaïlande contemporaine à partir de Dr Kharn (1973). Il tournera environ 40 films, avec à partir des années 2000 un virage vers les fresques épiques sur les guerres contre la Birmanie (La Légende de Suriyothai présenté à Cannes par Coppola). Dans son sillage, son ancien assistant Euthana Mukdasanit réalise Tongpan (1976), un des tous premiers docu-fictions réalisé avec un groupe de militants étroitement lié aux mouvements étudiants de 1973, qui seront tous emprisonnés ou forcés à l’exil. Mais le plus connu internationalement est Cherd Songsri, seul indépendant à avoir tourné pour les majors des films tous situés dans la Thaïlande rurale et traditionnelle (La cicatrice,1977, Muen et Rid,1994). Militant, poète et ethnologue, Manop Udomdej est célèbre pour ses films noirs (En marge de la société, 1981, The dumb die fast, the smart die slow, 1991 ou son polar controversé sur le viol The macabre case of Prompiram, 2003). Il y a aussi Permpol Choey-Aroon (Saloperie de vie, 1977) ou Piak Poster (Thon, 1978, un film social mais rempli d’audaces psychédéliques). Enfin, Vichit Khounavudhi, troque les films d’action ou musicaux qui ont fait sa gloire depuis trente ans, pour des œuvres engagées et très documentées comme Le fils du nord-est (1982), sur les difficiles conditions de vie dans le Nord-Ouest. Il ne faut pas oublier à la fin de la décennie le magnifique premier long-métrage d’animation thaïlandais, Les aventures de Sudsakorn de Payut Ngaokrachang, secteur qui ne se développera qu’avec la 3D (Khan Kluay, 2006).

La légende de Suriyothai

Si la production était d’environ 120 films par an durant les années 80, la concurrence étrangère est telle qu’elle tombe à 10 films la décennie suivante et ce, même si de nouveaux sujets apparaissent (statut des femmes, désastres écologiques, adolescence…). C’est là qu’émerge la seconde Nouvelle vague, mouvement lancé sur l’initiative de Nonzee Nimibutr avec Ratanaruang et Sasanathiang qui fondent les productions Cinemasia et ce, en pleine crise asiatique de 1997 ! Son Nang nak d’après une célèbre histoire de fantômes, est en 1999 le plus gros succès de tous les temps. Mais il restera avant tout comme le producteur de toute la nouvelle vague, dont le plus apprécié en occident Pen-Ek Ratanaruang ( Last life in the universe (2003) et pour le meilleur Vagues invisibles (2006), tous deux réalisés avec le scénariste Prabda Yoon, Christopher Doyle à la photo et l’idole asiatique Tadanobu Asano dans le rôle principal, puis Wisit Sasanathiang, coloriste et scénariste de Nimibutr, réalise le film culte aux couleurs chatoyantes Les larmes du tigre noir (2001). Nimibutr produit aussi Tanit Jitnukul pour son film épique et saignant Bang rajan, lui aussi acclamé dans le monde entier. Enfin, les jumeaux Oxide et Danny Pang, nés à Hong-Kong d’origine sino-thaïlandaise, tournent ensemble le polar hard boiled Bangkok dangerous (2000), puis le film de fantôme The eye en 2002. Ils travaillent tout autant séparément, Oxide dans le fantastique, le polar (One take only, 2002…) ou le thriller psychologique (Ab-normal beauty, 2004), quand Danny livre le très personnel et autobiographique Leave me alone (2004), comédie policière gay sur la gémellité.

Les larmes du tigre noir

Le succès de cette vague permet à l’auteur le plus radical du cinéma thaïlandais de devenir l’un des cinéastes les plus importants au monde de ces vingt dernières années. Après des courts expérimentaux et le cadavre exquis Mysterious object at noon, Apichatpong Weerasethakul est remarqué à Cannes avec Blissfully yours (2002, prix Un certain regard….), hélas film trop sensuel pour la Thaïlande, puis primé avec l’hypnotique Tropical malady (2004) tourné dans la jungle du Nord-Est. En 2010, c’est la palme d’or dOncle Boonmee, là encore avec des passages proches du conte et du fantastique, évoquant la réincarnation comme la mémoire des conflits. Il poursuit dans cette voie avec le très politique Cemetery of splendour. Son influence sur les jeunes cinéastes est énorme, d’où l’émergence d’un cinéma moderne fait de longs plans fixes contemplatifs et où l’importance du son est primordiale (son monteur Lee Chatametikool avec Concrete clouds, 2013, la réalisatrice Anocha Suwichakornpong avec Mundane history, 2009) mais aussi pour la reconnaissance d’un cinéma d’auteur plus classique comme Aditya Assarat (Wonderful town, 2007) sur les difficultés de l’après tsunami ou le Stories from the north de Uruphong Raksasad).

Tropical malady

Dernier acquis de ce début de millénaire, la révélation d’une nouvelle star planétaire du cinéma d’action, Tony Jaa. Ong Bak sera d’abord sacré à l’étranger avant que L’honneur du dragon et Ong Bak 2 ne soient de gros blockbusters nationaux. Mais derrière ces grands noms, se profile une véritable floraison de réalisateurs et ce dans tous les genres. Polygénérique, le jeune cinéma thaï y incorpore presque toujours des éléments de comédie (le polar déglingué Killer Tatoo de Yuthlert Sippapak, la comédie horrifique zombiesque Sar wars en 2004, inspirée par le SRAS). Mais le plus gros succès international viendra avec Yungyooth Thongkonthun pour Satreelex ou the Iron ladies (2000) sur la véritable histoire d’une équipe de volley composée exclusivement de transsexuels et de gays ayant remporté le championnat national en 1996. Les trans (Katoey) qui avaient jusqu’ici une fonction comique ou une représentation négative, sont à la mode avec l’ahurissant Saving private Tootsie (2002) de Kittikorn Liasirikun ou dans le plus sérieux Beautiful boxer (2003), biopic sur le champion de boxe thaï Parinya Kiatbusaba. Et alors que tout le cinéma classique excellait à filmer les corps avec cette douceur unique en Asie, la société évolue et le cinéma gay explose avec le coming of age Rainbow boys en 2005 d’après le livre d’Alex Sanchez, Père et fils (Saravuth Intaraprom, 2015) ou le thriller gay Bangkok love story (Poj Arnon, 2008). Enfin, G-thaï movie produit plusieurs porno gays parodiques, dont Jurassic porn (Intaraprom, 2015), remarqué par la presse internationale mainstream.

Zee-oui, the man eater

Mais sans doute à cause de la place primordiale du bouddhisme dans la vie des thaïs, le genre-roi reste l’horreur. Tout d’abord avec l’impressionnant Zee-oui the man eater (2004), œuvre presque unique de deux réalisatrices d’une cinquantaine d’années sur un tueur d’enfants cannibale traumatisé par la guerre. Puis avec le gros succès international du film de fantômes Shutter (Banjong Pisanthanakun et Parkpoom Wongpoom, 2003). À citer encore, Peter Manus ( 999-9999, 2002) côté gore ou Thanakorn Pongsuwan avec Opapatika (2008), où l’acquisition de super pouvoirs post réincarnatoires se voient doublés d’une malédiction.

Alors qu’il est enfin partout reconnu, et ce même dans ses lisières, ce cinéma thaï où coexistent fantômes des générations passées et jeunes pousses hybrides, mérite d’être mieux défriché pour en inventorier les trésors plus que les stéréotypes.

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