Afrique du Sud, une mosaïque d'identités

DATE :
19 décembre 2019
HORAIRES :
19H30 > 21H30
TARIFS :
3 euros / Gratuit pour les adhérents

INTERVENANT :

Alors qu’il n’aura fait que jurer par la race pendant près d’un siècle, le cinéma sud africain a toujours été traversé par les mouvements des colonisateurs et à l’inverse, par ceux des colonisés.

Les débuts de l’industrie cinématographique sont le fait du businessman américain Isidore William Schlesinger, dont la Schlesinger African Film Productions Ltd obtient le monopole de la production et de l’exploitation en salle dès 1913 et le gardera jusqu’en 1948 ! De la période muette, on retient surtout des films d’aventures inspirés par les grandioses des paysages comme La rose de Rhodésie (1918). C’est ce même cinéaste américain, Harold Shaw, qui, sur un scénario de l’historien Gustav Preller, tourne en 1916 The voortrekkers, premier film « sang pour sang » sud-africain, film culte et constitutif de la communauté afrikaaner.

Die voortrekkers

En 1930, Black traditional life tourné chez les zoulous est le premier film parlant, suivi en 1931 du premier film en afrikaaner Sarie Marais de Joseph Albrecht, sur une femme internée en camp de concentration pendant la guerre des Boers. Malgré la nouvelle politique raciale de l’après-guerre, quelques uns arrivent à filmer dans les townships comme Jim Comes to Joburg (1949) de Donald Swanson, avec l’icône des années 50, Dolly Rathebe. Puis Zonk! (Hyman Kirstein, 1950), le conte La soupe à la citrouille (The Magic Garden, Donald Swanson, 1951) ou Song of Africa (Emil Nofal, 1952) peignent un quotidien irréel, la trame narrative se cantonnant au milieu musical. Mais le cinéma local va surtout se consacrer à réinventer les idéaux et stéréotypes afrikaaners dans des productions de plus en plus pauvres artistiquement et ce, au fur et à mesure que le régime durcit sa politique raciale.

Jim comes to Joburg

C’est Jamie Uys qui persuade le gouvernement à investir dans les films locaux, sachant que sur 60 films de 1956 à 1960, 43 étaient parlés en afrikaans, 4 bilingues, 13 en anglais et aucun en langue africaine. Ces films sont rentables, le public stable, car ils respectent les idées de pureté raciale, les valeurs morales et religieuses. Ils ne sont pas distribués à l’étranger. Uys tourne son premier film Far away in the bushveld (1951) inspiré par son expérience de juge de campagne. On y retrouve déjà un ton burlesque, un rythme enlevé, un goût pour les espèces animalières et … ses blagues racistes. Au total, ce sont 24 films dont le grand succès international Kalahari (1974). La comédie est en effet un genre local très prisé des afrikaaners, notamment celles avec le légendaire Al Debbo (Fratse in die vloot,1958). Jamie Uys poursuit sur une pente un peu plus grasse et gagne beaucoup d’argent avec Dieu me savonne (Funny people, 1976) qui lance la vague des Candid cameras (caméra cachée), sous-genre sociologique qui témoigne de l’état de la société sud-africaine ( Les anges se fendent la gueule, Les anges perdent la tête (1985) du vétéran Emil Nofal ou Adieu les anges (1986) d’Elmo de Witt qui transmet la flamme à Léon Schuster, ancien chanteur qui perpétue un comique raciste (There’s a zulu on my stoep, 1993), véritable exutoire pour une communauté menacée par la fin de l’Apartheid. Par contre, plus « subtils », Les dieux sont tombés sur la tête (1 et 2 1984 et 1989) toujours de Jamie Uys seront eux obligés de porter le pavillon du Botswana pour éviter la censure.

There’s a zulu on my stoep

Dans le même temps, l’Afrique du sud développe un cinéma de genre avec des stars internationales de série b comme Le sanguinaire, le roublard, le vicieux ( Peter Henkel, 1971). À l’intérieur, on a quelques westerns ou films à grand spectacle comme Majuba (David Millin, 1968). Un certain humour et une rigidité se retrouvent aussi chez Emil Nofal qui tourne le film de voyage dans le temps Rip Van Wyk (1960), puis King Hendrik (1965), une comédie très british où une ville déclare son indépendance et qui met en boite la tendance séparatiste des afrikaaners. Enfin, son Wild season (1967) fit scandale pour son image des afrikaaners comme pour les les rôles importants tenus par des noirs. Nofal fut aussi le scénariste et producteur de Jans Rautenbach, considéré comme le cinéaste de l’âge d’or avec des films importants comme Die Kandidaat (1968), puis Katrina (1969) qui déclenche la controverse avec son mariage interracial, film qui exhorte le « try for white ». Enfin, son film d’horreur Jannie Totsiens (1970) où un professeur se voit interné dans un asile, est considéré comme un digest de la société sud-africaine de l’époque. C’est aussi un excellent thriller, avec un vrai soucis de la lumière.

Janie Totsiens

Pendant que des cinéastes étrangers s’émouvaient de la ségrégation et tournaient semi-clandestinement (Come back Africa, 1959, de Lionel Rogosin), c’est seulement dans les années 60 que naît en exil un cinéma sud-africain militant. Pourtant, dans les années 70, les films blancs commencent à s’aligner sur les positions de l’ANC, notamment ceux de Manie van Rensburg avec The Native who Caused all the Trouble en 1989, The Fourth Reich en 1990 présenté à Cannes. L’auteur se suicidera en décembre 1993. À l’opposé, le cinéma de genre est de plus en plus virulent comme le très raciste Albino, le souffle de la mort en 1975 de l’allemand Jurgen Goslar, très représentatif d’une veine horrifique exploitant systématiquement les rituels et coutumes de l’Afrique pour faire frémir le public blanc. L’Afrique du sud continue à produire un film d’action afrikaaner très médiocre avec Ivan Hall ou les films paranoïaques de Percival Rubens (entre autres l’horreur domestique de The demon (1979) ou le post apo Zone interdite). Dès 1975 sont tournés des films en xhosa comme Maxhosa ( Lynton Stephenson), une transposition de MacBeth en pays zoulou, ou son Good climate, friendly inhabitants (1982) tourné au Lesotho et qui appartient aux Nadine Gordimer stories, des « drames sud-africains » sur les conséquences de l’Apartheid. Enfin, on tourne aussi chez les zoulous comme l’acteur reconnu Simon Mabunu Sabela. Ross Devenish débute avec Boesman et Lena en 1973 et commence une fructueuse collaboration avec le dramaturge Athol Fugard du théâtre multiracial The serpent players avec notamment la future star John Kani. Ainsi, les années 1980 marquent donc la fin de la domination du cinéma en langue afrikaans et en 1986, William C Faure fait un carton à la télévision avec Shaka zulu.

Shaka zulu

Mais un cinéma plus underground existe aussi avec Andrew Worsdale (Shot down,1986), tourné pendant l’état d’urgence avec la troupe Week-end theater et qui sera interdit pendant dix ans. Oliver Schmitz débute à 28 ans avec le musclé Mapantsula (1988), unique film à pouvoir prendre le pouls de Soweto en ces années explosives. Darrell James Roodt commence à vingt-trois ans par un moyen métrage tourné en zoulou et va tourner plus de vingt-cinq films qui s’inscrivent à la fois dans la tradition du cinéma de genre sud-africain (La section,1987 ou Prey sur des lions mangeurs d’hommes pour l’horreur, la SF avec Sumuru (2003) et Dracula 3000 (2004) mais aussi dans une recherche de qualité et un certain engagement avec le musical Sarafina ! (1992) Pleure ô pays bien aimé (1995) sur la prise de contrôle des ressources par les blancs au début de l’apartheid, le mélo sur le sida Yesterday (2004). Avec Dangerous ground et Ice T, Roodt lance la « crime wave movies ». Il est sans doute le cinéaste sud-africain le plus reconnu internationalement. Toujours dans la veine fantastico-magique, Richard Stanley est revenu au pays pour le très visuel Le souffle du démon en 1992.

Sarafina !

Après la fin de l’Apartheid et l’élection de Mandela en 1994, c’est la naissance du mythe de la nation arc en ciel et les films se font plus métissés. Max et Mona (2004) de Teddy Mattera, où un médecin de village se retrouve attifé d’une chèvre sacrée continue la tradition de la comédie africaine. De très nombreux films vont aborder la question épineuse de la réconciliation, comme Forgiveness (2004) de Ian Gabriel, sur la rédemption d’un ancien policier blanc. L’auteur le plus important de la période selon les observateurs étrangers est Ramadan Suleman (fondateur du premier théâtre noir alternatif) avec Zulu love letter (2004). Après sa comédie Chikin Biznis (1999), Ntshaveni Wa Luruli tourne La caméra de bois (2003), sur le désir de cinéma d’un enfant du ghetto. Oliver Schmitz revient à Soweto pour le polar Hijack stories (2000), puis avec Le secret de Chanda (2009) sur la propagation du virus du sida. Puis Carmen de Khayelitsha (2005), une adaptation de Bizet en Xhosa, triomphe à Berlin.

Carmen de Khaielitsha

Mais surtout, le comédien Gavin Hood va connaître un énorme succès avec son troisième film Mon nom est Tsotsi (2005) d’après Athol Fugard. Le cinéma sud-africain a alors le vent en poupe ! Triomf (2010) de Michael Raeburn nous montre une banlieue blanche et pauvre de Johannesburg à la veille de l’élection de 1994. Steven Silver rend hommage au Bang bang club (2010), un groupe de photographes sud-africains travaillant dans les townships du temps de l’apartheid, avec Taylor Kitsch. Le cinéma arc en ciel connaît un autre succès avec la comédie Fanie Fourie’s Lobola de Henk Pretorius (2012). Cinéaste important venue de l’expérimental et de la mini-série Hopeville, John Trengove s’interroge dans Les initiés en 2017 sur la transmission des traditions au niveau de la circoncision des hommes. Du côté des réalisateurs noirs, il faut noter le succès de Zola Maseko avec Drum (2004), sur un journaliste sportif noir s’engageant dans des enquêtes politiques de plus en plus poussées, puis avec The wave caller (2016), histoire étrange d’un homme dialoguant avec les baleines.

Mon nom est Tsotsi

Puis de nombreux réalisateurs ayant vécu à l’étranger ou souhaitant se fixer dans la nouvelle Afrique du Sud multiculturelle, viennent enrichir le cinéma national comme Pia Marais (Layla, 2012) ou l’australien David Lister qui continue la tradition du film d’aventures (The story of african farm, 2004). il redonne du lard à la comédie afrikaaner (Panic mechanic, 1996) avec l’inénarrable Léon Schuster, plus actif que jamais dans des « blockbusters » souvent réalisés par Gray Hofmeyr. Le duo casse la baraque en 2004 avec Mama Jack où il se déguise en femme de couleur, humour poids lourd qui trouve son équivalent noir chez Alfred Ntombela. Durant les années 2000, des films comme Promised Land (Jason Xenopoulos, 2002) continuent de sonder l’inconscient des Afrikaners, gros succès, bien que perçu par la communauté blanche comme un film destiné aux Noirs. Ce cinéma blanc va connaître un sursaut après 2010 jusqu’à représenter 40 % des productions nationales ! Il s’agit toujours de divertissement (la teen comédie Vaatjie Sien sy Gat (2008) ou la « chasse à la femme » Jagveld (Byron Davis, 2017). Malgré lui, le cinéma afrikaan évolue avec le drame homosexuel Beauty (2011) dOliver Hermanus, jeune cinéaste découvert et soutenu par Roland Emmerich. Déjà Lauréat d’un lion d’or du court à Venise, Etienne Kallos récidive avec un film sur l’homosexualité dans la société conservatrice blanche et rurale des années 70, Les moissonneurs, sorti en France début 2019.

Les moissonneurs

Est-ce un des effets de son histoire mouvementée ou simplement à cause de la puissance de la télévision sud-africaine mais toujours est-il que le documentaire est très présent. C’est aussi parce que son coût est en moyenne 25 fois moins cher que celui d’une fiction. C’est donc dans ce domaine que l’on va trouver la plus juste représentation de l’Afrique du Sud d’aujourd’hui, mais aussi que les inégalités se réduisent entre blancs et noirs, hommes et femmes. La National Film and Video Foundation édicte et gère les conditions de production, garantissant un contexte favorable dans lesquels d’autres cinéastes sud-africains émergeront, d’où une belle santé et une grande diversité Dylan Valley suit un projet hip hop qui vise à faire de l’afrikaan une langue de libération dans Afrikaaps (2010). The battle for Johannesbourg ( 2010) de Rehad Desai et Darryl Els analyse l’histoire de la capitale et interroge son futur, notamment sa capacité à intégrer la pauvreté, sans masquer l’envers du « miracle sud-africain ». Rehad Desai interroge tout autant l’histoire sud-africaine, et donc de la colonisation, et rend sa fierté à la communauté zouloue par Bhambatha : War of the Heads 1906 (2007) sur la lutte menée par ce leader historique contre une taxe britannique. C’est l’histoire personnelle même du réalisateur, faite d’exil et de lutte politique sur les traces de son leader de père, qui ouvre à la réflexion autobiographique de Born into struggle (2004). Puis c’est The Heart of Whiteness (2005), où il interroge le devenir des afrikaaners après la fin de l’apartheid, notamment à travers l’exemple de la ville très sécurisée d’Oriana. De la même manière il se penche ensuite sur le cas des bushmen du Kalahari (Le Jardin secret des Bushmen, 2006). Don Edkins a consacré quant à lui un important diptyque aux mineurs originaires du Lesotho (The color of gold, 1992). François Verster a de son côté suivi une famille des bidonvilles du Cap durant quatre ans (The mother’s house, 2005). Il a aussi évalué la nouvelle Afrique du Sud dans un lieu unique au monde, Sea pont days (2008), bande côtière multiraciale du Cap. The Silver Fez (Lloyd Ross, 2009) présente lui la musique malaise dans la communauté musulmane du Cap. Surfing soweto (Sara Blecher, 2010) traite d’une génération oubliée née après l’abolition de l’apartheid, celle des surfers de trains. Enfin, Unhinged, Surviving Joburg (2010) est un célèbre documenteur sur « la ville la plus dangereuse du monde » dans lequel le réalisateur Adrian Loveland se met en scène comme guide.

Khumba

Après un pionnier des images de synthèse Jock of the bushveld (2011, Duncan MacNeillie), d’après le classique de la littérature jeunesse, l’animation sud-africaine perce à l’étranger avec le coloré Drôles d’oiseaux (2012). Puis Anthony Silverston et Triggerfish réalisent un nouveau classique, Khumba (2013). Du côté des francs-tireurs, il faut noter le film indépendant pour adulte Tengers (2007) de Michael J Rix.

En occident, toujours dans l’attente de l’Auteur avec un grand A, on a eu vite fait d’enterrer le nouveau cinéma Sud-Africain qui a sans doute marqué le pas par rapport au début du millénaire. Pourtant, avec les nouveaux formats et supports, on tourne des films bon marchés comme en témoigne le SMS sugarman de Aryan Kaganof (plus connu en Hollande pour un cinéma extrême sous le nom de Ian Kerkhof) premier film entièrement tourné avec un téléphone. Citons aussi le docu-fiction Conversations on a sunday afternoon de Khalo Matabane qui a coûté moins de 20000 euros et a pourtant été primé à Berlin.Très récemment, Ernest Nkosi a été sélectionné aux oscars avec un film tourné en une semaine dans le ghetto de Victoria à Joburg, Thina Sobabili: The Two of Us (2015). Charlie Vundla s’est fait un nom avec l’excellent polar How to Steal 2 Million avant de confirmer par Cuckold présenté à Toronto. Enfin, Zee Ntuli a présenté le gangsta movie échevelé Hard to get (2014) où le travail sur la lumière et la photographie est particulièrement remarquable. De nombreux films communautaires tournés avec des moyens ridicules sont exploités en vidéo (le sympathique Uhlanga the mark, 2012) et font le bonheur des adolescents des ghettos.

SMS sugar man

Sans surprise, c’est donc le cinéma de genre qui porte toujours le mieux les couleurs. avec Alastair Orr (The unforgiving en 2010, Expiration, 2011). Mais dans la grande tradition des transfuges, c’est évidemment Neil Blonkamp qui a été la grande révélation du pays avec son District 9 (2009) produit par Peter Jackson qui a connu un succès mondial mérité. Comme Gavin Hood, il semble hélas définitivement adopté par Hollywood. La permanence d’un cinéma de qualité reste encore à prouver et son histoire, à écrire.

District 9

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