Boxeurs sur grand écran, losers magnifiques

Boxeurs sur grand écran, losers magnifiques

De tous les sports portés à l’écran, la boxe est sans doute l’un des plus cinématographiques. Le round constitue en effet un condensé dramatique et facilite ce sentiment du temps réel permettant au spectateur de vivre le match de l’intérieur, de ressentir les coups durs comme le frisson de la victoire. Pourtant  le cinéma s’est très tôt attaqué aux fondements mêmes du Noble art, riche seulement de quelques années de plus que lui. C’est que le cinématographe n’était même pas fini d’inventer qu’on faisait déjà chausser les gants à des félins pour mieux en rire dans The boxing cats (1894) !

Le dernier round

Dans Charlot boxeur, Chaplin  rend hommage aux qualités chorégraphiques d’un sport pas si masculin qu’il voudrait le paraître. Tati, alors jeune comédien débutant, jouera à merveille des qualités balistiques de sa silhouette dégingandée dans un inénarrable Soigne ton gauche (1936) qui passera, et René Clémént avec lui, à la postérité. Les autres grands burlesques ne sont pas en reste : Laurel et Hardy avec La bataille du siècle (1927), Jean Durand avec son Onésime champion de boxe (1913), Max Linder avec un Max boxeur par amour (1912) dont le présupposé annonce déjà le College ( Sportif par amour, 1927 ) de Buster Keaton. C’est justement Keaton, habitué à mettre son corps en danger pour l’exercice de son art, qui le premier travaille à partir de la plastique du “boxé” dans le trop peu connu Le dernier round (Battling Butler -1926), où il montre le combat et la souffrance physique dans son réalisme le plus cru. Ainsi la majeure partie du match est vécue comme une séance de torture, avant que piqué par le virus de la violence, Buster ne rosse à mort son adversaire dans un finale plus du tout comique mais au contraire assez masochiste. Rarement cette discipline sportive n’aura paru aussi peu engageante…

Gentleman Jim

Dès 1927, Hitchcock exploitait lui dans The ring (1927) la photogénie de la boxe et dictait la grammaire du combat filmé avec ses inévitables plans subjectifs. Mais c’est en dehors du ring que le cinéma hollywoodien va poser le cadre  sociologique dans lequel baigneront les premiers chefs d’oeuvre. Au contexte populaire et à la gouaille du Gentleman Jim (1942) de Raoul Walsh se substitue le mélo social du Champion (1931, King Vidor puis les versions ultérieures), toujours dominés par la figure de l’athlète au corps sculptural, bientôt carcasse vieillissante et souffrante jetée en pâture aux bookmakers dans les combats truqués du film noir. Éros y luttant contre Thanatos, le genre gagne les faveurs du public et les classiques s’enchaînent (Nous avons gagné ce soir, Plus dure sera la chute, Marqué par la haine…), tout y compris dans de petites séries B où des débutants talentueux se font la main et expérimentent à tout va (Killer’s kiss de Stanley Kubrick, 1955). Et c’est parce que l’espace psychanalytique du ring condense le combat entre le Moi du héros et cet Autre, l’adversaire, que ces films ont valeur de parabole et véhiculent une vision idéologique de la société qui les produit.

Dans les années 60, le documentaire va rattraper la fiction, précédant un Martin Ritt qui sera lui le premier à donner  le beau rôle à un boxeur afro-américain (L’insurgé, 1970). Difficile sinon de saisir des légendes de l’envergure d’un Cassius Clay et sa transformation en un Mohammed Ali conscient sur fond de manifestations pour les droits civiques. Avec Stacy Keach, Huston réussit un beau film crépusculaire et l’un des plus beaux de sa fin de carrière : Fat city (ou La dernière chance,1972). Fin des dinosaures? Le renouveau viendra avec la victoire du cœur d’un nouveau personnage de prolo winner tandis que la saga des Rocky verra triompher l’étalon italien Sylvester Stallone. Les antagonismes sont plus forts que jamais dans ces célébrations primitives du self made man qui se teintent peu à peu des caractéristiques réactionnaires des années Reagan (petit blanc opposé aux ennemis traditionnels de l’Amérique). Cet esprit revanchard se verra sérieusement écorné par un portrait-miroir de Jake la Motta, de la gloire à la déchéance, que réalisera un Martin Scorsese en plein dans les affres de la cocaïne. En plus d’être une leçon de mise en scène, Raging Bull est aussi un retour aux figures maudites qui ont balisé ce sport tout au long d’un siècle de cinéma.

Girlfight

Puis les années 90 vont s’attacher à rendre peu à peu la place aux grands boxeurs noirs dépossédés de leurs succès par Hollywood et le racisme de l’époque : Hurricane Carter, plus fade chez Norman Jewison que dans la chanson de Bob Dylan, mais surtout le Ali de Michael Mann qui parvient donc à saisir les dimensions politiques et symboliques flottant sur deux décennies de l’histoire américaine, tout en transformant les combats en de véritables ballets cinématographiques. L’événement suivant sera l’arrivée de la boxe féminine. D’abord dans le beau premier film de Karyn Kusama, Girlfight (2000) qui, s’il est situé dans le milieu latino, est emblématique du combat de toutes les femmes à cette époque pour s’imposer dans tous les secteurs de la société. Essai transformé par le succès de Million dollar baby où le vieux réac Eastwood craque pour une jeune Hilary Swank brisée par un sport trop violent pour elle.

The boxer

Plus récemment Ron Howard (De l’ombre à la lumière), Antoine Fuqua (La rage au ventre) et David O’Russell (Fighter) ont ressortis les gants avec plus ou moins de succès mais sans bouleverser considérablement le genre. Il en est de même des tentatives françaises (Marcel Cerdan chez Lelouch, Victor Young Perez dans le film historique très raté de Ouaniche, Clovis Cornillac pour Julien Séri, mais aussi Dans les cordes ou Poids léger). Parmi ceux-ci, seul Jimmy Rivière (Teddy Lussi-Modeste, 2011) marque durablement en situant son action dans la boxe Thaï et un milieu gitan tenté par le Pentecôtisme. Et si chaque pays  a promu ses boxeurs sur les écrans, peu ont marqué en dehors de certains  japonais (José Torres de Teshigahara en 1959, The boxer de Terayama en 1977 ou Kids return de Takeshi Kitano dans une moindre mesure) et plus étonnamment des finlandais. Ainsi, si Aki Kaurismaki avait livré une savoureuse parodie de l’esprit Stallone avec Rocky 6 (1986) pour un très court-métrage, le film de boxe le plus original nous est venu très récemment : Olli Mäki (2016), anti-biopic de Juho Kuosmanen, plus mélancolique que tous ses prédécesseurs!

Un seul deviendra invincible

Enfin, il ne faut pas oublier ou sous-estimer les variantes sportives asiatiques (nombreux films thaïlandais) ni ces combats clandestins à mains nus chez Walter Hill ( Bronson le bagarreur, 1975), et plus particulièrement son excellent film de prison Un seul deviendra invincible avec Wesley Snipes. C’est dans ce cadre pénitentiaire que Hill, s’inspirant vaguement de l’affaire Tyson, transcende des vieux thèmes de séries B et rend les honneurs au genre tout entier. Sans parler  des caresses viriles et schizophrènes d’un Fight club

Sculpture physique

Citons enfin deux expériences fascinantes :  le Steak (1992), un bouleversant portrait documentaire  de Gaëtan Hart, boxeur québécois resté célèbre pour avoir tué sur le ring son adversaire Cleveland Denny, par les très engagés Pierre Fardeau et Manon Leriche et le court-métrage stakhanoviste Sculpture physique (1987) de Yann Picquer (Palme d’or à Cannes quand même… ) où la tuméfaction devient enfin art plastique.

Entre coups de cœur et bleus à l’âme, le film de boxe est plus vivant que jamais. Il s’est même développé avec bonheur dans le cyberespace avec les robots du formidable film old school Real Steel (Shawn Lévy, 2011) !

Un sous-genre toujours au dessus de la ceinture…

Real steel

 

 

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